Maman chérie,
Tu sais bien que je ne l'ouvre pas souvent, j'ai assez peur de m'en ramasser une pour préférer me taire. Enfin, j'exagère, je n'ai pas trop peur des coups, mais les représailles sont diverses et variées, et je tiens particulièrement à vivre dans un milieu où harmonie et entente mutuelle cohabitent sans forcer. Mais c'est la fête des mères aujourd'hui, et de quoi l'enfant reconnaissant se soucierait d'autre que du bonheur maternel en ce jour spécial ?
Maman, cela fait sans doute plus de vingt ans que tu vis recluse au sein de ce merveilleux havre familial qu'après des années d'efforts toi et Papa avez pu nous offrir. Non, je n'ai pas connu, grace à ton choix de ne pas travailler à l'extérieur de la maison, la garderie, les nounous, les devoirs surveillés après l'école et les jeunes filles au pair. Je quittais l'école à seize heures trente et ma maman m'attendait à la maison ; plus tard tu nous déposais à l'école et tu venais chercher chacun d'entre nous à l'heure où il sortait, ce dont nous ne savions pas te remercier puisque nous estimions que tu n'avais rien d'autre à faire de tes journées. Ingrats, égoïstes, comme n'importe quels autres gosses. Pourtant, déjà, prendre le bus pour rentrer seuls était notre petite aventure, notre moment privé d'une vie dont les contingences nous obligeaient à tant dépendre de toi.
A l'époque déjà, et je n'avais pas plus de quatorze ans, nous nous rendions déjà compte, et cela sans nullement te juger, de l'étroitesse de ta vie, coincée entre tes trois enfants et ton mari pour lequel déjà plus de trois fois tu avais tout quitté. Nous ne t'en aimions pas moins, malgré la peur que nous avions quand tu disais à notre père que tu allais le quitter, que demain quand il se lèverait tu ne serais plus là pour t'occuper de ses enfants. Ces épisodes, bien que tu les nies, ont malheureusement affectés nos coeurs d'enfants, mais nous ne t'en aimions pas moins, Maman. L'étroitesse de ta vie, dont nous étions les premiers témoins nous inspirait des voeux : jamais nous ne serions aussi seuls que toi. Si nous avions su comment, nous t'aurions aidée, comme nous essayons, aujourd'hui avec nos moyens d'adultes en devenir.
Parce que s'il est pour nous une certitude, Maman, c'est que ces vingt-cinq années, bientôt, que tu as passées à t'occuper de nous ne furent pas vaines. Trois succès, trois victoires, trois enfants pas trop ratés, j'ose le croire, qui malgré des bâtons qu'inconsciemment tu glissais dans leurs roues, tentent de s'en sortir, avec plus ou moins de succès, mais une énergie certaine.
Maman, pardonne-moi ma sincérité, mais l'urgence dans laquelle tu te trouves, l'urgence vitale je dirais, me force à tenter de te dire les choses dont il faut absolument que tu prennes conscience, si tu ne veux pas que le reste de ta vie un ignoble gâchis.
Il faut t'ouvrir, il faut renouer les liens que tu as rompus, il faut te soigner, ce que voulait suggérer Papa l'autre jour quand il t'a dit d'aller te laver la tête.
Tu n'as d'amis, et de ta chance d'avoir une famille nombreuse, tu as fait un calvaire. Tu sembles n'avoir ni passions ni centres d'intérêt. Qui oserait nier cette évidence : tu es une femme intelligente, mais tu laisses toi même rabougrir tes immenses capacités. Si ton corps n'en meurt pas, ton âme crève de solitude.
Te soigner Maman, parce que les lourdes rancoeurs que tu gardes plus ou moins en toi, te dévorent de l'intérieur, pourrissent en toi ce qu'il y a de vivant, encore.
Oui, il est parti travailler en Afrique quand tu attendais ton premier enfant, et il n'est pas revenu à temps pour l'accouchement. Même, quand il a débarqué il ne savait pas le nom du bébé, et le parfum qu'il t'a offert, tu ne l'aimais pas. Ensuite, alors que nous vivions confortablement de le Sud-Ouest, sans manquer de rien, mais sans luxe, il a accepté la promotion qui nous a conduit à Paris où nous avons passé cinq ans dans un appartement pas assez grand pour toi. Tu n'y as pas été heureuse et ce dans l'indifférence générale. Le départ pour la Suisse, peut-être que tu l'as vécu dans l'espoir d'un renouveau dans ta vie, mais pourtant tu n'as pas saisi la moindre occasion de t'y construire une vie propre, d'y avoir quelques amis...
Dans ta jeunesse, tes parents ne t'ont pas aidé comme tu l'aurais souhaité, comme tu l'aurais mérité ; si tu n'as pas fait d'études, c'est qu'ils ne l'ont pas voulu.
Mais qu'est-ce qui t'empêche, maintenant que tes enfants sont grands, maintenant que tu n'as plus de comptes à rendre à tes parents, te reprendre ta vie en mains, de refuser une existence qui n'enchanterait personne pour enfin tenter de mener une vie qui te plaise, de sortir, de voir du monde ?
Tu n'es pas seule. Papa t'aime. C'est certain parce qu'un autre homme serait parti ; tu ne lui fais pas la vie facile, il ne peut rien faire sans s'entendre retourner de reproches... Et nous, que ne ferions-nous pas pour avoir le plaisir d'avoir enfin une maman heureuse, épanouie, qui n'aura plus pour hantise la vision d'une boîte de nesquick hors de son placard, et pour bonheur celle d'un épisode des Feux de l'amour.
Il faut vivre Maman, aujourd'hui, pas dans vingt ans, pas quand ça sera trop tard. Es-tu tellement blasée du monde que celui-ci n'éveille plus en toi la moindre curiosité ?
Tu sais bien que je ne l'ouvre pas souvent, j'ai assez peur de m'en ramasser une pour préférer me taire. Enfin, j'exagère, je n'ai pas trop peur des coups, mais les représailles sont diverses et variées, et je tiens particulièrement à vivre dans un milieu où harmonie et entente mutuelle cohabitent sans forcer. Mais c'est la fête des mères aujourd'hui, et de quoi l'enfant reconnaissant se soucierait d'autre que du bonheur maternel en ce jour spécial ?
Maman, cela fait sans doute plus de vingt ans que tu vis recluse au sein de ce merveilleux havre familial qu'après des années d'efforts toi et Papa avez pu nous offrir. Non, je n'ai pas connu, grace à ton choix de ne pas travailler à l'extérieur de la maison, la garderie, les nounous, les devoirs surveillés après l'école et les jeunes filles au pair. Je quittais l'école à seize heures trente et ma maman m'attendait à la maison ; plus tard tu nous déposais à l'école et tu venais chercher chacun d'entre nous à l'heure où il sortait, ce dont nous ne savions pas te remercier puisque nous estimions que tu n'avais rien d'autre à faire de tes journées. Ingrats, égoïstes, comme n'importe quels autres gosses. Pourtant, déjà, prendre le bus pour rentrer seuls était notre petite aventure, notre moment privé d'une vie dont les contingences nous obligeaient à tant dépendre de toi.
A l'époque déjà, et je n'avais pas plus de quatorze ans, nous nous rendions déjà compte, et cela sans nullement te juger, de l'étroitesse de ta vie, coincée entre tes trois enfants et ton mari pour lequel déjà plus de trois fois tu avais tout quitté. Nous ne t'en aimions pas moins, malgré la peur que nous avions quand tu disais à notre père que tu allais le quitter, que demain quand il se lèverait tu ne serais plus là pour t'occuper de ses enfants. Ces épisodes, bien que tu les nies, ont malheureusement affectés nos coeurs d'enfants, mais nous ne t'en aimions pas moins, Maman. L'étroitesse de ta vie, dont nous étions les premiers témoins nous inspirait des voeux : jamais nous ne serions aussi seuls que toi. Si nous avions su comment, nous t'aurions aidée, comme nous essayons, aujourd'hui avec nos moyens d'adultes en devenir.
Parce que s'il est pour nous une certitude, Maman, c'est que ces vingt-cinq années, bientôt, que tu as passées à t'occuper de nous ne furent pas vaines. Trois succès, trois victoires, trois enfants pas trop ratés, j'ose le croire, qui malgré des bâtons qu'inconsciemment tu glissais dans leurs roues, tentent de s'en sortir, avec plus ou moins de succès, mais une énergie certaine.
Maman, pardonne-moi ma sincérité, mais l'urgence dans laquelle tu te trouves, l'urgence vitale je dirais, me force à tenter de te dire les choses dont il faut absolument que tu prennes conscience, si tu ne veux pas que le reste de ta vie un ignoble gâchis.
Il faut t'ouvrir, il faut renouer les liens que tu as rompus, il faut te soigner, ce que voulait suggérer Papa l'autre jour quand il t'a dit d'aller te laver la tête.
Tu n'as d'amis, et de ta chance d'avoir une famille nombreuse, tu as fait un calvaire. Tu sembles n'avoir ni passions ni centres d'intérêt. Qui oserait nier cette évidence : tu es une femme intelligente, mais tu laisses toi même rabougrir tes immenses capacités. Si ton corps n'en meurt pas, ton âme crève de solitude.
Te soigner Maman, parce que les lourdes rancoeurs que tu gardes plus ou moins en toi, te dévorent de l'intérieur, pourrissent en toi ce qu'il y a de vivant, encore.
Oui, il est parti travailler en Afrique quand tu attendais ton premier enfant, et il n'est pas revenu à temps pour l'accouchement. Même, quand il a débarqué il ne savait pas le nom du bébé, et le parfum qu'il t'a offert, tu ne l'aimais pas. Ensuite, alors que nous vivions confortablement de le Sud-Ouest, sans manquer de rien, mais sans luxe, il a accepté la promotion qui nous a conduit à Paris où nous avons passé cinq ans dans un appartement pas assez grand pour toi. Tu n'y as pas été heureuse et ce dans l'indifférence générale. Le départ pour la Suisse, peut-être que tu l'as vécu dans l'espoir d'un renouveau dans ta vie, mais pourtant tu n'as pas saisi la moindre occasion de t'y construire une vie propre, d'y avoir quelques amis...
Dans ta jeunesse, tes parents ne t'ont pas aidé comme tu l'aurais souhaité, comme tu l'aurais mérité ; si tu n'as pas fait d'études, c'est qu'ils ne l'ont pas voulu.
Mais qu'est-ce qui t'empêche, maintenant que tes enfants sont grands, maintenant que tu n'as plus de comptes à rendre à tes parents, te reprendre ta vie en mains, de refuser une existence qui n'enchanterait personne pour enfin tenter de mener une vie qui te plaise, de sortir, de voir du monde ?
Tu n'es pas seule. Papa t'aime. C'est certain parce qu'un autre homme serait parti ; tu ne lui fais pas la vie facile, il ne peut rien faire sans s'entendre retourner de reproches... Et nous, que ne ferions-nous pas pour avoir le plaisir d'avoir enfin une maman heureuse, épanouie, qui n'aura plus pour hantise la vision d'une boîte de nesquick hors de son placard, et pour bonheur celle d'un épisode des Feux de l'amour.
Il faut vivre Maman, aujourd'hui, pas dans vingt ans, pas quand ça sera trop tard. Es-tu tellement blasée du monde que celui-ci n'éveille plus en toi la moindre curiosité ?
1 Comments:
Emouvant, nuancé, fort.
J'espère que ta mère entendra.
Et surtout fais en sorte d'être différente...
Je te lis toujours avec plaisir
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